Deco, Kids & co.
4 Décembre 2014
Bonjour à tous,
Préambule pour mes amis français : En Belgique, le 6 Décembre, nous fêtons Saint-Nicolas, Saint patron des écoliers. La nuit du 5 au 6 Décembre, il vient sur son beau cheval blanc (parfois son âne) déposer des jouets, des bonbons et des fruits aux enfants sages, accompagné de son valet, Père Fouettard.
Chez nos compatriotes flamands et nos voisins hollandais, l'équivalent de Père Fouettard est le Zwarte Piet (traduisé Pierre Le Noir), mais cette année la Cour d'Amsterdam a estimé que cette figure était offensante. En effet, pour beaucoup de Néerlandais d'origine surinamienne (ancienne colonie des Pays-Bas) ou d'origine africaine, le Père Fouettard est une figure du temps de l'esclavage (cheveux crépus, grosses lèvres rouges et anneaux d'oreilles).
En Belgique, beaucoup s'offusquent de cette vision des choses et estiment que c'est vraiment "voir le mal partout" que de trouver une connotation raciste à ce personnage...
Sauf que...
1) On ne peut pas contester le ressenti de quelqu'un. Et s'il ne faut pas forcément prohiber tout ce qui blesse ou offense les gens, il y a lieu au moins de respecter ce ressenti.
2) Les légendes sont diverses et la version du Père Fouettard noir est la version la plus récente et la plus éloignée de la légende d'origine :
En réalité, Saint Nicolas, évêque de Myre du IIIe siècle, a sauvé trois innocents du bourreau et délivré trois prisonniers politiques du cachot. Si Saint Nicolas devient, par après, patron des écoliers, c'est par un "malentendu linguistique" : "les innoncents" deviennent des "petits enfants". C'est ainsi que nait la légende du boucher. L'hypothèse est donc que Père Fouettard est le bourreau des innocents et le boucher de la légende. Rien à voir donc avec les colonies! En Alsace il prend d'ailleurs les traits d'un vieillard repoussant.
C'est au 16e siècle que son habit se transforme... et qu'il prend l'apparence de Charles Quint (!). En 1552 la ville de Metz est assiégée par l'armée de l'empereur. Les habitants de la ville font alors une procession avec un mannequin à l'effigie du bruxellois et le brûlent.
La représentation actuelle et popularisée n'apparait qu'en 1850 sous la plume de Jan Schenkman où il est effectivement un petit valet de couleur chargé de punir les vilains enfants. ET ceux qui y voient un ramoneur n'ont JAMAIS vu de cheminée.
Quand on sait que le Suriname est à cette époque sous administration des Pays-Bas, on comprend mieux la position de la Cour amstellodamoise.
3) A ceux qui argumenterait que cela n'est que folklore, je dis :
- le folklore étant une création humaine, ce n'est pas impossible, voire probable, qu'il soit chargé en bêtise, racisme et sexisme ;
- à bien des enfants, le mythe de Saint Nicolas n'est pas présenté comme mythe, mais bien comme une histoire réelle (souvent par ces même personnes qui revendiquent le folklore).
4) Le Centre pour l'égalité des chances s'est prononcé sur la question et a conclu que dans la figure du Père Fouettard "il ne peut être question d'une forme punissable de racisme ou d'une forme légalement prohibée de discrimintation raciale". En déduire que pour le Centre d'égalité des chances il n'y a pas de connotation racisme dans la représentation du Père Fouettard, c'est un raccourci qu'on pris bien des journalistes (qui n'ont vraisemblablement pas lu le communiqué du Centre).
Le Centre pour l'égalité des chances ajoute d'ailleurs qu'il faut mener une réflexion sur la manière de présenter dans le futur cette ancienne coutume populaire : "Nous lançons dès lors un appel afin que la figure du Père Fouettard soit représentée autrement que comme un homme noir bête, inférieur ou dangereux - caractéristiques par lesqueles les stéréotypes volontaires ou pas sur les personnes noires se perpétuent".
5) Dans tous les cas, et même si l'on revient à une version antérieure de Père Fouettard, celle que j'ai d'ailleurs connue, celle d'un Père Fouettard vêtu de noir, grimé et armé de branchages, j'ai beaucoup de mal à comprendre l'attachement à ce folklore qui, soyons honnête, fait l'éloge des châtiments corporels. J'ai beaucoup de mal à y reconnaître ma culture et mes valeurs.
6) Si on peut admettre, comme Bruno Bettelheim, qu'il faut un méchant dans chaque conte, cela vaut, à nouveau, pour autant que l'histoire soit effectivement présentée comme un conte, en non comme une histoire vraie.
CONCLUSION :
Je suis contre les interdits et je ne crois pas, à l'instar du Centre pour l'égalité des chance, qu'il faille brûler Père Fouettard. Par contre, je pense qu'un tout petit peu de recul et d'esprit critique n'a jamais fait de tord et qu'on peut parfois admettre que nos traditions ne sont pas si jolies que cela et qu'elles peuvent offenser.
Je suis d'accord que ceci peut servir de base pour une discussion avec les enfants sur les stéréotypes et les légendes... pour autant qu'on ne soutienne pas, simultanément, aux enfants que Saint Nicolas existe pour du vrai!
Enfin, je rappelle qu'avant tout Saint Nicolas est à l'origine le sauveur des prisonniers politiques. Aujourd'hui, des innoncents sont enfermés et exécutés pour des raisons politiques. Pensez y lorsqu'on vous proposera les bougies d'Amnesty International. Elles sont en vente ici :